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L'histoire

Poussez la porte d'une maison close.

Paris. 1946. La guerre est derrière nous. Mais après 140 ans d'existence, les maisons closes sont condamnées à être fermées. Quel monde va alors s'ouvrir pour les "Belles de Nuit" ? Que vont devenir Jacote, Jeanne, Lucienne et Yvonne leur patronne ?

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"Belles de nuit", c'est l'évocation de la prostitution, du monde de la nuit où les hommes allaient se satisfaire sans se préoccuper des dégâts qu'ils allaient causer. Les filles étaient là pour assouvir leur moindre désir, leur moindre caprice, sans se soucier des séquelles : maladies, enfants, avortements qui se terminaient le plus souvent en drame. En quelques mots, la violence faite aux femmes.

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Avec de l'humour, de l'émotion, du théâtre, ces destins nous sont aussi contés en chanson qui mettent l'accent sur la vie de ces filles où l'amour n'avait pas sa place mais leurs rêves, oui !

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Note d'intention des auteurs

« Ah, tu veux devenir danseuse ! Tu finiras pute dans le caniveau ! ».

Une petite phrase assassine proférée à l’adolescence qui reste tapie sournoisement dans l’esprit et qui, parfois, sans crier gare ressurgit. Au juste, c’est quoi une pute ? Et serait-ce comme ça qu’on le devient : par une phrase assassine ? Une phrase qui vous marque comme un sceau. Un fatum. Une sentence indélébile.

De cette petite injonction qui ronge, sont nées Yvonne, la patronne, Jacote, Lucienne et Jeanne les trois prostituées des « Belles de nuit ».

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La vie de nos protagonistes (avant de parler des hommes de l’histoire) est assujettie à leur corps. Celui-ci, tel un animal blessé ou rebelle, répond par un chant dialogué lorsqu’elles s’autorisent à exprimer la douleur, les pleurs, les rires, l’humour, l’amour ou le manque d’amour, la frustration et la détresse, la nostalgie, la violence mais aussi la tendresse et l’espoir d’une autre vie. Lorsqu’elles s’affrontent entre elles jusqu’à parfois s’empoigner ou quand la patronne défie le mac qui veut les soumettre et les anéantir, là, cela devient du théâtre.

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Le souteneur, c’est le dehors, le danger, la rue, qui ne sera jamais une protection avec ses réverbères aux lumières blafardes et la mort qui rôde dans l’ombre d’une porte cochère. Quand Marthe Richard décide de tout mettre en oeuvre pour fermer les maisons, lui, il a tout compris : son heure a enfin sonné. Les filles, il va les récupérer et les mettre à sa merci. Alors sans doute cette maison close, cette « Belles de Nuit » que nous évoquons, devient un lieu de refuge, tant pour les filles que pour les clients. Un lieu d’échappatoire où les hommes tentent de renouer avec l’antique désir. Un lieu où les filles, condamnées par la sentence d’une phrase malencontreuse, une mauvaise rencontre, la souillure des hommes, ou plus simplement pour échapper à la soumission d’un père ou d’un frère, recréent l’éternité du monde. Comme une matrice protectrice.


On ferma ces lieux de « plaisir » en 1946 et c’est d’une de ces fermetures dont nous allons parler. Il n’est pas dans notre intention de cautionner l’indéfendable. Pas plus que d’oublier que certaines maisons closes abritèrent des trafics inavouables, cachèrent des collabos, laissèrent leur porte ouverte aux nazis, aux mafieux et autres malfrats. « Belles de nuit » c’est avant tout le portrait d’une femme, Yvonne, qui a cru que derrière les volets de sa maison elle pouvait sauver ses « filles » en taisant son propre désir. Car comme le dit Lucienne : « Avant d’être des putains, nous sommes des filles nées d’un père et d’une mère, comme n’importe qui ! »

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Bénédicte Charpiat - Jonathan Kerr

Note d'intention du compositeur


Ma collaboration avec Bénédicte Charpiat, tant sur le livret que je signe avec elle, que sur la musique ainsi que les lyrics que j’assume seul, est venu après son désir d’écriture. Le contre point que je lui ai proposé (comme elle avait choisi de surtout développer l’intérieur de la maison close) tient essentiellement à rendre compte de l’extérieur, incarné par Momo, le souteneur et le rapport avec notre "aujourd’hui". De valoriser certains personnages par rapport à cet extérieur et de m’occuper aussi de la formation musicale qui accompagnera l’ensemble.

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Un trio jazz (qui pourrait s’apparenter à celui que formait Django Rheinhard, Stephane Grapellli et Louis Volla ) traitera musicalement cet opus en opposant deux mondes. Celui bigarré où le glauque côtoie le pittoresque (un monde qu’avait dû fréquenter Caussimon et Léo Ferré, Pierre Mac Orlan et son « fantastique social », Georges Van Parys ou Philippe Gérard) et un autre plus lyrique et moderne (sans doute plus sombre) qui débouche sur la rue que vont rejoindre les filles.

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Les notes et les sons sont donc venus, lorsque ma musique a trouvé cette collaboration polyphonique d’hier avec ce que je peux en traduire aujourd’hui, en rentrant en vibration et en résonance avec ces glorieux auteurs et compositeurs ainés. Il n’y a en effet qu’une chose dont je sois certain : ces endroits singuliers même sordides restent un fantasme et une énigme encore aujourd’hui. Il m’est apparu que le texte que nous avons co-écrit ne pouvait révéler sa forme théâtrale qu’au sein d’un écrin sonore, d’un monde harmonique, d’un temps écrit et partitionné assorti de paroles qui parlent de ce fantasme et de cette énigme.


Du point de vue musical, en peignant cette génération qu’on peut dire sacrifiée, son côté délétère, j’ai voulu faire entendre des harmonies particulières, faites d’accords éternels, d’un jazz déprimé ou d’une drôlerie assumée. La crudité de certaines scènes m’a suggéré de travailler comme rivé à un écran, exactement comme certains pianistes orchestraient des films au temps du muet. D’un point de vue sensoriel, restant parfois abstrait, sans illustrer. La nonchalance des personnages m’a donné envie, par contradiction, de proposer que les filles et Yvonne scandent haut et fort certains passages. Et que Momo, le souteneur, souligne encore davantage l’angoisse du monde au dehors.


Jonathan KERR

Note d'intention de mise en scène

L’histoire des « Belles de nuits » résonne étonnamment avec celles d’aujourd’hui. D’abord en raison de l’actualité récente (Toutes ces affaires d’ordre sexuel que nous connaissons). Le piège qui se referme sur les filles et la tenancière du bordel (même si c’est d’abord la loi Marthe Richard qui est responsable de leur malheur) les met face à une semblable situation inhumaine de dépossession d’elles mêmes. Cette histoire dépasse donc un simple contexte conjoncturel pour traiter avant tout de la violence des hommes à l’égard des femmes.


Mais ce théâtre musical se doit aussi d’être émouvant, drôle et poétique. Un véritable chant à la grandeur de l’humain, qui est toujours capable de se sacrifier pour une noble cause. Une telle oeuvre théâtro-musicale appelle une mise en scène d’une grande sobriété, qui donne la première place aux acteurs-chanteurs-musiciens. J’inviterai tout d’abord ces derniers à un travail préparatoire de construction et de caractérisation des personnages d’une très grande précision, afin de matérialiser cette époque haute en couleur (la fin des maisons closes, la folie de l’après guerre, ce besoin de rédemption et, malgré tout, ce retour à un ordre hypocrite). Les personnages sont tout à la fois sujets et objets de leur réflexion. Le travail des interprètes sera donc de trouver l’équilibre difficile entre incarnation et distanciation.


Les filles , Yvonne et Momo et les musiciens doivent briser le quatrième mur pour s’adresser directement au public et en même temps faire que chaque personnage nous révèle l’intérieur de son âme. Pour cela il leur faut un écrin. J’ai donc imaginé un dispositif qui nous renvoie à notre époque. Des vitrines semblables à celles qui servent de présentoir aux filles du quartier rouge d’Amsterdam. Une guitare, un violon, une contrebasse, accompagneront les chants. Les acteurs vont être confrontés à une histoire qui passe sans arrêt de l’émotion au rire à l’érotisme et à la violence. Ces personnages vont progressivement se découvrir, mais cette révélation de leur être profond passe aussi par la disparition de leur monde. Dans ce cadre, un important travail sur la physicalité des personnages doit être effectué : la violence induit une peur physique quasi constante, une conscience accrue de son corps et de sa fragilité même si toujours la pirouette de la femme habituée à vendre son corps reprend le dessus.


Compositeur de cette oeuvre, j’ai conféré à chaque scène une unité rythmique propre, avec ses accélérations et ses lenteurs, ses moments haletants et ses respirations, ses outrances et sa drôlerie puis son dénouement quasi opératique. Chaque scène révélant dans sa structure interne des tempi très différents : le temps de l’histoire relatif aux maisons closes : rêve, jeu, folie, acerbe et érotique; le hors temps du dehors : où le crime n’est jamais très loin et le temps de la délivrance qui est aussi une fin. Finalement, cette pièce théâtrale et musicale parle avant tout d’amour, de ces nostalgiques premières fois, de notre incomplétude endémique. Mais, ni les brillants allégrettos de l’exaltation des filles, ni les pitreries de désarmorceurs des comparses-musiciens (Amédée, Jacques et Fernand), ni le chant invitatif et accrocheur de Momo, le souteneur, ne pourront  faire oublier le lent staccato du désespoir de Jacote, la violence déguisée de Jeanne,  la douleur d’Yvonne, la patronne et le sacrifice finale de Lucienne. Et quand toutes les femmes entameront « CLOSE » à la fin, c’est sans doute aussi sur nos illusions que la porte se refermera.

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Jonathan Kerr


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